dimanche 10 mai 2015

Un livre, un père. De Liliane Fainsilber


 

Comment le père intervient-il pour que la primitive relation à la mère ne se transforme pas en cauchemar, un cauchemar dont on n’arrive pas à se réveiller, alors que cette relation est pourtant source de toutes les félicités et modèle de toutes les satisfactions futures dans l’amour qui peut naître entre un homme et une femme ?
Pour répondre à cette question il faut remarquer que le père, pose tout d’abord l’interdit sur le corps de la mère, cependant son rôle ne se limite pas à cela, il devient aussi un guide précieux et averti sur les chemins de nos désirs. Il nous sert de modèle pour savoir ce qu’il faut faire en tant qu’homme ou en tant que femme.
Mais pour que cela soit possible il faut, qu’un temps le père soit préféré à la mère, comme étant celui qui a le phallus et qui a le pouvoir de le donner. Ce temps là, c’est ce que Lacan appelle la version vers le père ou encore la « Père-version ».
Pour que cette attirance pour le père, cette version vers le père puisse s’effectuer il faut que la mère ait été en quelque sorte dépossédée de ce qu’enfin de compte elle n’a jamais eu, un phallus imaginaire et que l’enfant ait aussi renoncé à venir combler ce manque de la mère, à être son objet phallique. Or ce qui rend possible ce renoncement c’est le cas que la mère fait de la parole du père.
C’est donc elle, la mère, qui a cette lourde charge, lourde responsabilité d’assurer cette translation, ce transfert vers le père, cette version vers le père. Dans cette nouvelle version, le père peut ne pas être toujours à la hauteur. De là, la nécessité de venir étayer, conforter cette fonction paternelle défaillante. Les poètes ont l’art d’y remédier et devancent donc, à ce titre, les psychanalystes.
En rappelant la fonction de la parole de la mère, je remets donc l’accent sur la structure familiale, en cette période actuelle, où l’accent est mis de préférence sur les mutations du champ social, mutations qui impliquent la contestation de l’importance du père et le délitement de la structure patriarcale de la société. Bien sûr la famille est la petite cellule élémentaire de la société et donc ces deux champs ne sont pas sans rapport l’un avec l’autre, ne serait-ce que parce que s’y transmettent, de l’un à l’autre, les idéaux d’une société donnée, ses mœurs et ses lois. Mais si nous voulons avoir une possibilité de remédier à cet état de fait, il me parait important, comme pour les problèmes que pose par exemple la délinquance – et pas seulement celle des jeunes - dans le champ social, de prendre en compte le fait qu’il y est avant tout question des ratés et des impasses de l’Œdipe. Par la mise au monde de leurs œuvres, les poètes nous démontrent ce qu’il en est d’une version vers le père réussie. Ainsi montrent-ils la voie de ce qu’on peut attendre de la fin d’une analyse, cette même version vers le père effectuée avec succès.

 Liliane Fainsilber